Mes recherches me mènent à présent vers Maître Therer, juriste et avocat. La rencontre a lieu le 28 mars 2014 en fin d’après-midi, dans son étude située sur le site d’un aéroport. J’ai avec moi un dossier composé des différentes pièces qui serviront à son analyse : une ligne du temps reprenant l’historique des événements, l’ensemble des échanges de mails depuis l’élaboration du projet (les noms y ont été remplacés par des initiales), des photos, annonces, documents de promotion et autres traces attestant de l’existence puis de l’anéantissement du projet.   Notre première rencontre a pour but de lui exposer les raisons de ma recherche et lui fournir les éléments nécessaires à son analyse. Ma demande est ici, une fois encore, de savoir s’il peut, au travers de sa lecture, déceler les éléments attestant de la réussite involontaire de mon projet : l’ emprise de mon sujet - la destruction - sur mon travail. Après une heure de conversation, je lui laisse les documents et nous convenons d’un moment pour nous reparler.       Le 2 mai 2014, n’ayant aucune nouvelle de sa part, je lui envoie un mail.   Cher Monsieur Therer,    Nous voici déjà au mois de mai et je ne suis pas revenue vers vous concernant votre analyse.  Pourrions-nous convenir d'un rendez-vous téléphonique en début de semaine prochaine (lundi ou mardi matin) afin de faire un point sur l'avancée de votre analyse et sur son rendu final?    Bien à vous, Anne-Cécile Vandalem.     Quelques heures plus tard, je reçois sa réponse.   Madame VANDALEM,   Concerne : Anne-Cécile Vandalem / consultation   J’ai bien reçu votre courriel de ce jour et j’y fais suite.   Suite à notre réunion du 28 mars à mon bureau, j’ai étudié les différents documents que vous m’aviez remis à cette occasion.   De l’analyse que j’ai pu faire du dossier, il m’apparaît que sous l’angle juridique, vous ou votre compagnie ne pouvez opposer à vos partenaires un ou plusieurs griefs qui seraient de nature à entraîner leur responsabilité.     Les différents courriers échangés sur la période de septembre 2011 à octobre 2013 font état de divergences ou de différences dans les approches du projet à réaliser, mais on ne peut cependant à mon sens relever des manquements professionnels imputables à l’un ou à l’autre des partenaires.   Les tensions qui apparaissent à certains moments entre les partenaires sont davantage à mettre sur le compte d’une entreprise artistique vivant d’aléas que sur une inexécution des obligations par une partie au projet.   Aucune obligation de résultat à charge des partenaires n’est d’ailleurs consignée ou prévue formellement dans les documents que vous m’avez soumis.   J’avais noté que la création du spectacle était prévue pour mai 2014. J’ignore vos intentions actuelles précises par rapport à ce projet qui a subi des avatars au point que vous vous interrogez sur sa refonte et sa nouvelle appellation, lui donnant par là un sens autre que celui qu’il avait reçu initialement.   Comme avocat, je ne peux pas vous conseiller de vous engager dans une voie judiciaire contre une personne/entité en particulier. Une telle action serait incertaine quant à son issue et onéreuse en frais de défense et de justice. Tout au plus, une réunion pour mettre au clair les ratés du projet serait envisageable, mais rien ne contraindrait les destinataires à s’y rendre.   En tant qu’artiste occasionnel, le cheminement de la conception du projet initial et l’exploitation de son échec est une démarche intéressante. Je pourrais certes vous en livrer une lecture « oblique », mais cela ne serait pas en tant qu’avocat et cela ne le serait pas dans un cadre rémunératoire.   Je demeure dans l’attente de vos instructions. N’hésitez pas à m’appeler au besoin.   Je vous prie de croire, Madame VANDALEM, en l’expression de mes sentiments dévoués.   E. T. - Avocat      À la lecture de ce mail, je réalise que mes intentions n’ont pas été claires et je comprends qu’il sera difficile d’emmener M.Therer dans mon hypothèse.     Cependant, le 13 mai 2014, il me sollicite à nouveau.   Mademoiselle VANDALEM,   Je revois ce dossier et plus particulièrement le courrier que je vous adressais le 2 mai, resté sans suite à ce jour.   Je vous invite à me fixer.   Dans l’attente, je vous prie de croire, Madame VANDALEM, en l’expression de mes sentiments dévoués.   E. T. - Avocat      Le 20 mai 2014, après un temps de réflexion, je décide de lui répondre.   Cher Monsieur Therer,    Veuillez excuser le délai de ma réponse.    Je dois bien vous avouer que j’ai reçu votre courrier avec étonnement. Je pensais qu’il était clair que ma demande n’était pas une analyse de la situation dans la perspective d’une action en justice contre les personnes impliquées dans le projet (sans quoi je ne vous aurais pas présenté la situation de cette façon et n'aurais pas remplacé les noms par des initiales), mais qu' il était bien question de susciter votre regard d’analyste juridique (avec la possibilité qu’il soit oblique aussi) d’après mon hypothèse de travail :la réussite involontaire de mon projet, ou la façon dont les événements se sont mis en place, façonnés et imbriqués pour que le sujet même de mon travail devienne l’objet de son anéantissement.   Dans cette perspective, et s’il vous semble encore intéressant de pousser plus loin votre participation à ce projet, je vous invite volontiers à me fournir votre analyse oblique de la situation.   À vous lire,    Anne-Cécile Vandalem.      En fin de journée, M. Therer répond par un coup de fil au dernier mail que je lui ai envoyé. Il décide de clôturer nos échanges. Il m’affirme qu’il ne peut en aucun cas répondre à ma demande en sa qualité d’avocat. Il ne comprend pas ma demande et ne veut pas aller plus loin. Eu égard au caractère singulier de ma requête, il me propose de baisser ses honoraires au maximum. Quelques heures plus tard, je reçois un dernier mail, qui clôture nos échanges.   Mademoiselle VANDALEM,   Je fais suite à votre courriel et à mon appel téléphonique de ce jour.   Je vous confirme ce que je vous ai indiqué, à savoir que votre demande est trop singulière pour que je puisse pleinement y répondre en tant qu’avocat.   Conformément à notre entretien, je mets un terme à mon intervention comme avocat et clôture ce dossier.   Mes prestations ont été les suivantes : -       réunion avec vous-même en date du 28/03/2014 : 1 heure ; -      étude du dossier, rapport à vous-même le 02/05/2014 et gestion du dossier : 1 heure ½.   Si je devais comptabiliser mes honoraires au taux horaire habituel, soit 80 € par heure prestée, il me reviendrait la somme de 200 € ainsi qu’un forfait pour mes frais de secrétariat.   Eu égard au fait que vous travaillez dans le secteur artistique dont les moyens sont notoirement réduits, je minore mes honoraires et frais à la somme forfaitaire de 90 € à majorer de la TVA (applicable aux avocats depuis le 01/01/2014), soit : 108,90 € TVAC.   Ce montant est à verser sur mon compte honoraire IBAN BE XXX XXXX XXX   Si votre compagnie est assujettie à la TVA, je vous invite à me communiquer le n° TVA pour la facture à établir.   Dans l’attente, je vous prie de croire, Madame VANDALEM, en l’expression de mes sentiments dévoués.   E.T. Avocat.    


Le 21 mars 2014, sur les conseils d' un ami, je prends contact avec Barbara Roman, correctrice professionnelle. Je sollicite son aide afin qu’elle retraverse de son œil habitué à trouver l’erreur, l’historique du projet "After The Walls (UTOPIA/DYSTOPIA)".

Je lui demande d’y déceler les possibles traces d’une préméditation de son anéantissement.

Les documents qui lui sont fournis sont, comme pour tous les autres experts que je consulterai, constitués d’un historique des événements (sous forme de ligne du temps), un fascicule reprenant l’ensemble des échanges de mails depuis l’élaboration du projet, ainsi que des photos, annonces, documents de promotion et autres traces attestant de l’existence puis de l’anéantissement du projet "DYSTOPIA".

Lire le compte rendu d'analyse.

 


Le 21 mars 2014, sur les conseils d’un ami, je prends contact avec Barbara Roman, correctrice professionnelle. Je sollicite son aide afin qu’elle retraverse de son œil habitué à trouver l’erreur, l’historique du projet After The Walls (UTOPIA/DYSTOPIA). Je lui demande d’y déceler les possibles traces d’une préméditation de son anéantissement. Les documents qui lui sont fournis sont, comme pour tous les autres experts que je consulterai, constitués d’un historique des événements (sous forme de ligne du temps), un fascicule reprennant l’ensemble des échanges de mails depuis l’élaboration du projet, ainsi que des photos, annonces, documents de promotion et autres traces attestant de l’existence puis de l’anéantissement du projet DYSTOPIA.
Looking for Dystopia - Analyse Barbara Roman, correctrice professionnelle.    Manuscrit 1     Consigne reçue : effectuer un travail d’analyse sur un projet théâtral d’envergure qui a fini par se déconstruire jusqu’à disparaître. Je suis contactée en ma qualité de correctrice, en tant que personne qui a l’habitude de chercher l’erreur. Ce travail est proposé à divers experts dans leurs domaines respectifs. Il est destiné à nourrir le questionnement de l’auteure et metteuse en scène sur le chemin qu’a pris ce projet. Cette dernière souhaite par ailleurs ne pas me donner trop d’informations et me laisser la plus grande liberté possible. Je pressens que mes compétences orthographiques et grammaticales ne seront pas les plus utiles pour ce travail. Avant de recevoir les documents, je suis allée regarder sur le net, sommairement, ce que je pouvais trouver sur das Fraülein (Kompanie). J’y ai relevé les signes d’un travail global élaboré, mis en valeur de manière précise et plutôt sobre. Aucune communication claire sur un projet qui aurait ‘dérapé’. Je suis dans le flou et le doute. Je me demande si mon travail fait partie d’une démarche d’investigation qui serait un processus de création en soi, à la manière d’une Sophie Calle. Je poserai la question à la metteuse en scène la prochaine fois qu’on se parlera au téléphone, lorsque j’aurai pris connaissance des documents. Je prends la décision de ne pas m’attarder sur le net et de m’en tenir précisément à ces documents, que j’ai demandés à recevoir en version papier et numérique.       1ère lecture   Les documents reprennent des échanges de mails sur 2 ans (2011 à 2013), une légende pour la lecture de ces mails, une ligne chronologique reprenant les étapes successives de l’évolution du projet, un liste de liens utiles, des copies d’articles de presse et autres supports de diffusion. J’entreprends de lire l’échange de mails, à partir de la version papier. Je suis curieuse de découvrir les détails sur le déroulement de ce projet. J’évaluerai ultérieurement ce que je ferai des autres documents. Cette lecture, effectuée d’une traite, me demande une grande concentration. Pour me donner une ligne de conduite, je l’aborde par l’orthographe et la grammaire. La tâche me semble rapidement inconsistante comme je l’avais pressenti. Globalement, je relève très peu de fautes, les protagonistes manient la langue française de manière précise et nuancée. Le contenu m’intéresse davantage que la forme. Je suis happée par l’histoire de ce projet qui se lit à travers ces échanges, à la manière d’un suspense. Au fil de tous les échanges,  je découvre le contenu du projet par bribes. Je veux aussi comprendre qui parle à qui, quelle est la place de chacun et sa fonction dans le projet. Malgré mes aller-retour dans la légende des initiales, je n’y vois pas toujours très clair. Ici et là se trouvent des noms propres qui n’ont pas été transformés en initiales, c’est perturbant, mais quelques fois utile à la compréhension.         A l’issue de cette première lecture je ressens une sorte d’hébétude, une fatigue. Je me suis à l’évidence identifiée à la metteuse en scène, dont les courriels révèlent le souci d’honnêteté et la volonté tenace de traverser les obstacles qui se succèdent sans craindre les brumes d’une réflexion et d’une remise en question continues. Je suis impressionnée par son obstination et celle de son équipe face à la déliquescence progressive des appuis nécessaires à la construction du projet. L’image d’un mur qui tremble imperceptiblement et tombe en décrépitude s’impose dans mon esprit, elle n’est évidemment pas étrangère au titre « After the Walls» qui apparaît à plusieurs reprises. Je ne peux m’empêcher également d’établir un lien entre les concepts évoqués dans le projet (utopie/dystopie) et l’évolution vers l’anéantissement de celui-ci. « After the Walls» semble avoir emprunté, par le réel, le chemin entrevu dans la fiction, de manière inéluctable. Cette évolution renvoie la construction réelle de la fiction dans le domaine de l’irréalisable, de l’utopie.

Ce constat me surprend et à nouveau, comme si je ne voulais pas y croire, je me demande si cette évolution n’est pas voulue et conduite par la metteuse en scène dans un processus artistique extrêmement élaboré.

Dystopie = contre-utopie Récit de fiction peignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur. Utopie qui vire au cauchemar et conduit donc à une contre-utopie. L’auteur met en garde le lecteur en montrant les conséquences néfastes d’une idéologie (ou d’une pratique) présente à notre époque. La différence entre dystopie et utopie tient plus à la forme littéraire et à l'intention de son auteur qu'au contenu. En effet nombre d'utopies positives peuvent également se révéler effrayantes. Ex. : Littér. Le meilleur des mondes (A.Huxley), 1984 (G.Orwell) ; Cin. Metropolis (F.Lang) (<Wikipedia)   Avant d’entamer la 2ème lecture, un contact téléphonique avec A-C. me permet d’écarter cette hypothèse. Je visionne la moitié de la captation d’Utopia.           2ème lecture     IMG_3585     Pour cette 2ème lecture, je ne m’attaque pas encore aux tonalités. La sensation que des éléments m’échappent me donne envie de retraverser tout l’échange d’une traite. Cette fois-ci je consulte en parallèle la ligne du temps. Je m’attarde davantage sur des détails : les dates des échanges, les mots choisis, …. Je prends des notes (cfr. brochure) sur ce que m’évoquent ces détails. Je dois encore me référer régulièrement à la légende pour identifier les protagonistes, certaines initiales demeurent non identifiables. Je relève que certains mails restent sans réponse, ou que du moins ces réponses, qui ont peut-être eu lieu oralement, n’apparaissent pas dans les documents. Je retire de cette 2ème lecture au moins un constat : ce projet s’est tissé dès le départ sur une trame à géométrie variable constituées de nombreuses inconnues. Ces dernières existaient à l’entame du projet et ont persisté ou ont été remplacées par d’autres jusqu’au bout. D’un côté (production) les moyens matériels, financiers, humains, techniques étaient incertains au départ et ont fait l’objet de modulations pendant 2 ans ; de l’autre côté (création-mise en scène) le contenu du projet qui était encore relativement abstrait au départ, a absorbé dans ses phases d’écriture et de création, chaque contrainte successive imposée par les événements et les conditions de production pendant 2 ans. Une corrélation est visible entre les deux contingences. Ce constat me donne envie de me pencher sur la présence de signes de DOUTE dans les échanges.   IMG_3594   Je visionne la deuxième partie de la captation d’Utopia.           3ème lecture     Partant de l’idée que le projet Utopia/Dystopia a été plongé et prolongé dans un état d’hypothèse permanente, et donc régulièrement remis en question dans son fond et sa forme, je décide de relever dans chaque courriel les mots que j’estime appartenir au champ lexical du doute. (cfr. brochure – en fluo rose pour les mots exprimés par la metteuse en scène ou membres de la Cie, en fluo vert ceux des autres protagonistes) J’effectue ce ‘scanning’ de manière rapide, spontanée, la plus directe possible. Je relève les mots du doute, de la remise en question, de l’interrogation.   IMG_3566     Puisque j’ai utilisé 2 couleurs différentes, je survole l’ensemble des échanges de mails de la brochure pour déterminer laquelle de ces 2 couleurs est à première vue la plus présente. De toute évidence le rose l’emporte. Cependant l’interprétation de cette prédominance de rose, et donc de l’expression du doute de la part de la metteuse en scène davantage que de la part des autres, me paraît hasardeuse : je ne dispose pas de tous les échanges, des réponses manquent à certaines questions, le relevé n’est ni exhaustif ni suffisamment minutieux …. Toutefois j’entrevois des nuances au fil des échanges et me risque à distinguer dans les courriels de la metteuse en scène 3 ‘phases de doute’ :  
  1. Doute – réflexion sur le contenu, hypothèses liées à la phase de création
   (…/…)‘Utopia va prendre une autre forme. Je ne sais pas encore exactement laquelle mais il est possible que le projet (un appel à candidature à à financement pour un projet qui doit encore voir le jour) soit aussi un moyen de…’(…/…) (…/…)‘Cette proposition peut prendre plusieurs formes possible et je ne sais pas encore vers où je vais aller…’(…/…) (…/…)‘Je ne sais donc pas te dire s'il y aura de la création sonore ou pas’(…/…)  
  1. Doute – hypothèses liées à la phase de création + inquiétude, questionnement sur la faisabilité du projet (parallèlement à une affirmation du contenu du projet)
  (…/…)‘j'ai du mal à poser un choix qui se définisse en terme d'audace si celui-ci n'est pas strictement cohérent avec la proposition.’(…/…) (…/…)‘Du coup la logique de production voudrait que dans le cas où cela resterait un choix juste de le créer dans la bibliothèque, il faudrait que ce soit pris en charge par le F, en plus des frais de coproduction. Mais, quoi qu'il en soit, je ne suis vraiment plus certaine que le choix de ce lieu et de son empreinte historique soit encore judicieux.’(…/…) (…/…) ‘C'est à cet endroit que se rejoignent diverses intuitions dont je t'ai déjà parlé, de joindre le projet architectural au projet théâtral (et pourquoi pas même jusque dans son mode de financement). Un des exemple évident : la construction de l'architecte (ou de celui qui se présentera dans UTOPIA) n'est jamais que le lieu dans lequel se déroulera la fiction.’ (…/…) (…/…)‘C'est également pour ces raisons, que je communiquais à E. mon inquiétude quant à votre engagement sur l'entièreté du projet. Je ne sais pas ce qu'il en est de votre part, mais parlant de moi, je compte énormément sur cette continuité, entre les deux projets…’(…/…) (…/…)’Voilà...j'ai fait tout cela de ma propre initiative, car je sais qu'aujourd'hui la situation est extrêmement délicate, mais néanmoins non désespérée. Je tiens à ce que DYSTOPIA puisse être créé. C'est une priorité et une nécessité.’ (…/…)  
  1. Doute – remise en question de l’ensemble de l’entreprise et de la méthode de travail
  (…/…) ‘What shall I do with that? What about the whole After The walls process? Should I cancel it, or try to find another way of presenting it ? What about the team? What about the production team ? I feel alone with the dealing of it.... Hard.’ (…/…) (…/…) ‘Today I am still not able to know what is gonna happen with DYSTOPIA, nor if I still want to make it, where and in which conditions.
This event makes me rethink the whole way I'm working (and the coherence of the production I built) and I need to take time to reconsider all this.’ (…/…)   IMG_3574   4ème lecture     13   Pour obtenir une vue d’ensemble sur le déroulement et la teneur des échanges, je rédige un récapitulatif. (cfr. annexe A) J’identifie les tonalités des mails (cfr. brochure). Les tonalités que je note relèvent davantage de l’interprétation que je fais du langage des protagonistes, que de procédés stricts respectant les catégories littéraires du comique, dramatique, tragique,… Dans l’ensemble le ton est plutôt franc, cordial, professionnel, souvent amical. A partir de septembre 2012, apparaissent des tons pressants, expéditifs, irrités. En février 2013, un ton inquiet mais vaillant et déterminé de la part de la metteuse en scène, face à un ton neutre professionnel ou expéditif. En mai 2013, s’ajoute un ton de colère contenue, de dépit, d’inquiétude chez la metteuse en scène, puis en juillet 2013, de la fatigue s’exprime, mais toujours de la détermination, enfin en septembre 2013, apparaissent de la colère, de l’ambivalence. Chez les autres protagonistes, le ton demeure généralement concis, direct, cordial. En septembre 2013 un ton sec, inflexible et ferme apparaît. Enfin parallèlement je relève le contenu des mails (cfr. brochure) :   A. infos ; B. Questions ou demandes ; C. Avis, positionnement ; I. Signes d’Insatisfaction ; S. Signes de satisfaction    IMG_3552   Ce relevé me permet avant tout de constater que les mails de la metteuse en scène sont ceux qui comportent la plus grande quantité de contenu. Qu’il s’agisse d’infos objectives, de questions ou de demandes, d’avis, ses mails sont largement étoffés, quand ceux-ci reçoivent parfois des réponses extrêmement réduites.       CONCLUSION   J’ai lu les échanges de courriels à la manière d’un détective, cherchant l’erreur, ou tout au moins des traces d’erreur. A travers des tonalités, des utilisations de langage, des choix de mots, des rythmes de communication. Aucune des pistes suivies ne m’a permis de relever d’erreur en tant que telle, je ne peux pointer dans ce que j’ai décortiqué, aucun endroit précis, aucun tournant fatal dans lequel se serait engouffré le projet vers son écroulement. J’ai lu l’histoire de quelqu’un qui cherche farouchement, avec détermination, agilité, délicatesse, à construire un édifice sur des sables mouvants. Ce n’est pas l’histoire d’un projet qui connaît des accidents de parcours ou des déconvenues ponctuelles bien circonscrits et identifiables. C’est la trajectoire d’un projet dont les protagonistes, une metteuse en scène et sa compagnie de théâtre, ainsi que les producteurs, sont plongés dans une épopée qui semble obéir aux codes de la tragédie. J’ai eu beau vouloir m’écarter de ce schéma, il réapparaissait systématiquement en filigrane. Le sol bouge, un doute s’immisce. Une fissure apparaît, discrète, dans le ciment. Le tremblement est presqu’imperceptible mais sans tarder d’autres obstacles se succèdent. Des mots de désistement, de refus, de doute, d’embarras, d’inquiétude, de limitation. Les obstacles s’enchaînent à un rythme à ce point régulier qu’ils paraissent orchestrés par une trame invisible et indépendante de la volonté de l’ensemble des protagonistes. Les mots de la metteuse en scène sont abondants. Ils informent, questionnent, cherchent. Ils identifient les failles, tentent de les circonscrire, de les réparer ou de solidifier l’ensemble afin de contenir les zones fragiles sans qu’elles ne mettent en péril tout l’édifice. Scrupuleusement et avec détermination. Conjugués à ceux des autres protagonistes, ils agissent à la manière d’un chœur qui porte parfois la voix des vents contraires. Pendant un temps, tout se veut encore possible, chaque intervenant oeuvre à sa manière à la réalisation du projet. Cependant les aménagements sont nombreux et conséquents. Le ton de la colère, du dépit, de l’irritation se font sentir. Mais toujours aussi, celui de la détermination. Le projet, porteur d’une volonté utopiste, est forcé de s’attacher avant tout et malgré lui au démantèlement progressif des rouages de sa construction, et de se contenter d’aménager l’espace régi par la loi d’une force incontrôlable, impalpable, d’un destin inéluctable. Jusqu’à son anéantissement. L’anéantissement. Frustrante destination pour un projet qui se donnait pour objet d’en décortiquer le mécanisme hostile et nébuleux. Une construction impeccable d’anticipation, un plan qui ne souffre d’aucun hasard, d’aucun interstice de doute peut-il déjouer les forces de ce mécanisme? L’épreuve-même de l’anéantissement demande sans doute ici d’être appréhendée comme une première étape, le socle solide et incontournable à partir duquel il pourra être détaillé et représenté.  

 Barbara Roman

Avril 2014

                     




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